C’était en mars 1995, le lendemain du dernier jour de tournage de Comment je me suis disputé…, me voilà déjà parti à Istanbul chez un ami de lycée, pour écrire. Une injonction que je m’étais appliquée dès que Desplechin avait pris ce risque fou de choisir un non-acteur pour jouer dans son film. Depuis l’âge de 17 ans, je faisais tous les métiers dans le cinéma (assistant-régie, montage, accessoiriste etc…), pour mieux apprendre à fabriquer mes courts-métrages et là Arnaud venait, au pied levé, de m’“inventer“ comme acteur. Intuition immédiate : attention de ne pas glisser dans ce que je voyais à l’époque comme une dangereuse tentation de paresse : la belle vie d’acteur. Et donc refaire un film à moi illico ! C’est parti de quoi ? Peut-être du lit parental, où la place de mon père (qui avait quitté la maison) avait été remplacée par des piles de livres. C’est drôle ou ce n’est pas drôle ? On en pleure ou on en rit ? Et comme des Lettres persanes inversées, depuis la Turquie, loin de chez moi, j’ai tiré ce fil en transformant toutes les douleurs de l’enfance en tentatives de comédie.
« Comedy is tragedy + time » dit Alan Alda dans Crimes et délits de Woody Allen.
Les mensonges comme réflexes de survie, l’éloge de la fuite… Loufoqueries, bouffonneries, burlesqueries, honteuseries, allons-y ! La maison, mangée par les livres, devenant un château hanté et ma mère une Dracula (on a failli mettre des gousses d’ail partout dans la maison, ha ! on aurait dû). L’autobiographie pouvait s’approcher d’un Conte de Grimm, grâce aux regards objectifs de Pascale Ferran et Jeanne Balibar sur le scénario. Vive la fiction, poussons le bouchon, c’est si drôle. Quoique…
Aujourd’hui, 26 ans après (!!), je repense avec une infinie tendresse à Pierre Chevalier, le directeur de programme d’Arte, qui nous a presque tous fait naître, je repense à Jean-Yves Dubois, acteur incandescent de la Comédie Française, à qui j’ai tout volé, à Matthieu Poirot-Delpech, le chef opérateur architecte qui savait aussi la toxicité envahissante des livres. Et je pense à Thomas Bernhard :
« L’enfer n’est pas à venir, l’enfer a eu lieu, car l’enfer c’est l’enfance. Ce que cela m’a coûté de sortir de cet enfer ! »
Mathieu Amalric
Jean-Yves Dubois, Adriana Asti, Jeanne Balibar, Laszlo Szabo